dimanche 28 mars 2010

Les camions de pompier

L'enfant raconte : des camions de pompiers, des grandes échelles, des enfants que l'on sauve au risque de sa vie, une vie une vie, sinon y reste, des voitures que l'on découpe, des corps que l'on extrait, des têtes que l'on coupe, des corps que l'on ne reconnaît pas. L'enfant raconte. "Etre JPV" : "jeune pompier volontaire" lui traduit-on. L'enfant raconte. Et le thérapeute s'endort. Il s'endort de ce sommeil qu'il connait et qui lui annonce l’effet de certains mécanismes de défense qui l’éloignent de la périphérie de lui même Il s'endort et il lutte avec culpabilité contre ce qui l'engourdit : les pompiers, les scies énormes tout cela pourrait lui évoquer quelque chose ! Mais rien, il est pris dans cet torpeur qu'il reconnaît bien et qui lui annonce du trop peur. Il lui vient juste qu'avec ces histoires, l'enfant souhaite le protéger. L'enfant raconte. Il sera pompier : d'ailleurs, il a déjà sauvé quelqu'un. Il a sauvé son petit frère d'un autre qui le menaçait. Et c'est là, dit, l'enfant, c’est là qu'est arrivé le drame. Le thérapeute est alarmé. Eh bien le drame, dit l’enfant, c’est que j’ai été violé. L'engourdissement a cédé, et le thérapeute maintenant ne dort plus : il est en plein cauchemar. L'enfant raconte. Et il a perdu le masque jovial du début et les flammes qui les dévorent tous deux maintenant sont maintenant d'un feu glacé. L'enfant raconte : s'il "le" rencontre et qu'il recommence. Et il s'étonne : en plus, une autre fois, ça a recommencé : j'ai été violé une seconde fois. Le thérapeute perd pied et est emporté par l’angoisse et le désespoir. Pour la première fois, il a peur de commencer une psychothérapie. Pour la première fois, il a peur de cette descente aux enfers que l'enfant lui annonce. Il a peur de ses yeux durs, de ces poings qui se ferment, il a peur de ces paysages dévastés et brûlés, il a peur de cette image de lui que l’enfant lui tend.

1 commentaire:

pelote a dit…

Le lecteur lui-même suit tranquillement ces mots, à petit rythme, et bam, il n'en croit pas tout à fait ses yeux, comment de cette lecture "molle" on passe à ça ? Alors il relit la phrase, et le dur ne s'évanouit pas dans la confusion. Il est bien là.
Ce petit récit est saisissant.