samedi 21 novembre 2009

L’enfant a des difficultes a apprendre

L'enfant a des difficultés à apprendre. Cela date "depuis toujours" raconte la mère. Et elle se souvient de cette première journée de classe où il avait tant pleuré, et où elle avait du partir en courant pour ne pas qu'il voit ses larmes. "Un déchirement" dit elle. Qui lui en évoque un autre. La décision, prise rapidement, dans une sorte d'urgence, de partir. C'est qu'il la battait "depuis toujours" c'est à dire depuis que l'enfant est né. Auparavant tout était "parfait", puis l'enfant, gros de coups, est arrivé. Les coups ont duré 8 ans. Pour tout : le repas froid, ou trop chaud, ou la maison mal tenue, ou un regard mal posé, un pleur d'enfant Elle ne sait pas pourquoi elle est partie au bout de 8 ans. Elle y pense parfois, et se demande "pourquoi pas 4 ou 10, ou dès le premier coup ?" et conclut : "j'aurais pu y être encore", qui est entendu comme un "j'aurais pu y rester". Elle raconte encore la peur, une fois la décision prise, peur de ne pas suivre son idée, le rassemblement des affaires, l'enfant dans la voiture, la route, la nuit, puis la journée, et l'arrivée ici, c'est-à-dire nulle part pour elle. La recherche d'un foyer, la découverte de ce foyer, et la tentative d'un nouveau départ.

samedi 24 octobre 2009

Je peux avoir ma chemise ?

 

L'enfant entre dans le bureau et demande "je peux avoir ma chemise ?". C'est presque un rituel, maintenant, cette entrée en matière et cette demande. Et comme il en a maintenant l'habitude, il continue son dessin. Au début, c'était juste le plan de sa classe "comme ça tu va voir ou est ma place", et puis le plan a débordé : dans la cour de récré, dans les couloirs, dans la rue en face de l'école. Il a suivi, semaine après semaine, le trajet école - maison. Le thérapeute a regardé tout cela, avec plaisir au début - une histoire de place, on y reconnaît ses petits - puis avec quelques inquiétudes - qu'est-ce qui va contenir ce dessin qui déborde d'une feuille à l'autre ? Il a été tenté d'interpréter, mais l'enfant ne lui laissait pas... la place ! Si les feuilles se couvrent d'un trajet, la séance ne désemplit pas de sa voix "et puis tu vois, là, il faut tourner ici, et là il y a un trottoir comme ça..." Et interpréter sur quoi ? La chemise ? La place ? Ce qu'il ressent comme invasion ? Et en quoi cela aiderait l'enfant ? Et puis, l'enfant a trouvé sa place dans la thérapie. Et le thérapeute aussi. Un jour, l'enfant a eu une demande différente :"Je peux voir mes anciens dessins ?" Il les regarde gravement, les commente, n'en reconnaît pas certains. Le thérapeute demande :

- Te souviens tu, comme tu parlais beaucoup et vite alors ?

- Ah ça oui !

- Je me demandais pourquoi

- J'avais peur

mercredi 23 septembre 2009

L'enfant qui pousse à bout

"Il est coquin" avait dit la mère

"Il pousse à bout" avait dit la psychothérapeute

"Je veux bien le recevoir en psychothérapie" avait dit le psychothérapeute. Et il avait crânement expliqué en quoi le travail avec ces enfants qui poussent à bout était intéressant : travail sur la contenance, travail autour de la recherche de l'objet, travail autour de la médiation, travail autour de l'intégration de la culpabilité...

L'enfant lui fut donc confié.

Certes, le psychothérapeute avait bien perçu qu'une psychothérapie qui commence avec le fantasme de faire mieux que des femmes ne commence pas sous les meilleurs auspices. Mais il fut étonné de l'intensité de ce qui se produisit.

L'enfant n'a pas franchi le seuil de la porte que déjà le psychothérapeute était hors de lui. D'un geste, d'un regard, d'une parole, l'enfant savait le pousser à bout. Le psychothérapeute se sentait acculé jusque dans ses idéaux. Tout ce en quoi il croyait : le bon accueil de l'autre, la neutralité bienveillante, l'importance du dire... était répétitivement mis en échec. Son estime de soi comme psychothérapeute baissait rapidement et il en arrivait à cette conclusion redoutable : il était nul

Il était surpris de constater à quel point une partie de ses identifications à sa propre mère était mises au travail. Qu'on laisse l'enfant à sa propre mère ! et elle saurait bien le mâter se surprenait-il à penser parfois. Et ses rêveries le conduisaient  à une scène ou il voyait avec satisfaction sa mère faire entendre raison à cet enfant.

Lorsque ce n'était pas le fantasme "On bat un enfant" , c'était la honte qui l'occupait. Comment se faisait il qu'il était impuissant à contenir cet enfant ? Pourquoi le mettait-il dans un tel état de tension ? Certes il voyait bien quelques thèmes : l'abandon du "qu'on le laisse", l'impuissance, l'attaque des idéaux, mais à chaque fois la haine, chaude, brûlante, revenait.

Et il se souvenait, alors, comment ilavait crânement expliqué en quoi le travail avec ces enfants qui poussent à bout était intéressant : travail sur la contenance, travail autour de la recherche de l'objet, travail autour de la médiation, travail autour de l'intégration de la culpabilité

dimanche 23 août 2009

Vous devriez aller voir M. Machin

Le thérapeute est entré. On l'a appelé : "vous devriez aller voir M. Machin". Alors il y est allé. On l’a conduit au travers de couloirs et de portes. Puis de nouvelles portes et de nouveaux couloirs. Il croise des hommes. On le regarde, on s'interroge : est il avec nous ? Ou avec les autres ? Enfin, une dernière porte. Il entre. Et constate d'emblée qu'il n'est pas le bienvenu. L'homme est là, à quelques pas, quatre tout au plus. Il est prostré, et tout en lui évoque le refus. Jusqu'à l'odeur. Il est comme statufié. L'ambiance même de la pièce est changée. Avant la porte, ce sont les bruits, les éclats de parole. Le vertige saisit le thérapeute. A quoi se raccrocher ? Des mots, des images lui traversent l'esprit. Dante - vous qui entrez ici abandonnez toute espérance - omega mélancolique - catatonie - impuissance. Que faire ? Que dire ? Se raccrocher, vite, à une idée, un savoir. Alors il note les signes. Et fait le diagnostic : mélancolie. Il a là un bouclier, qu'il croit solide. Alors il parle. Lentement et prudemment, car déjà l'extrême tristesse de l'Homme le touche. Ne va-t-elle pas l'envahir, le submerger et le détruire ? Lui dit la détresse qu'il perçoit. L'aide qui peut être apportée.

Des portes et des couloirs. Encore des portes et des couloirs. Les mêmes hommes. Les mêmes regards. Le thérapeute est sorti. S'en est-il sorti ?

jeudi 13 août 2009

Sol porteur

C'est un enfant de 7 ans et il est assis sur sa chaise. Et il laisse cette curieuse impression de flotter dans les airs. "Une plume, se dit le psychothérapeute, il ne doit pas peser lourd". Il a les jambes qui ne touchent pas le sol, et il les balance. Parfois il les ramasse sous lui. Le psychothérapeute lui a proposé de dessiner. L'enfant a dit "oui" dans un souffle. Et n'a pas bougé de son siège. Le psychothérapeute lui a proposé d'utiliser des objets. L'enfant a dit "oui" dans un souffle. Et n'a pas bougé de son siège. Les propos de la mère lui sont revenus à l'esprit. Le développement "normal" d'un enfant "qui ne dérangeait jamais et qui pouvait rester des heures, tranquille, dans son coin". Le psychothérapeute se rend compte que l'enfant ne lui dira pas "non". Il s'inquiète. S'angoisse. Comment grandir sans cet organisateur ? Comment entrer en relation avec quelqu'un qui dit "oui" à tout - c'est-à-dire qui est dans un mimétisme radical. Heureusement, il dit oui, et fait non. Il lui vient à l'esprit une idée de jeu : il frappe dans ses mains. Clap. Clap. Deux coups. L'enfant regarde avec sa vision périphérique. Il fait :"Clap". Un jeu commence, avec des variations de rythmes et d'intensité. Clap. Clap. Puis on se lancera une boule de pâte à modeler. Loin. Près. A toi. A moi. Faux lancers. Parfois, l'enfant glisse sur le sol, s'allonge sur le dos. N'y a-t-il que le sol qui a les bras assez grands pour le porter ?

jeudi 7 mai 2009

Le passé reste à la même place

Les traits sont tracés d'une main sûre. "Un train" dit-il. Le dessin se poursuit en silence. Tout juste le temps de chercher une règle, et le revoilà parti dans son dessin. "C'est un TGV" précise t-il et il dessine avec soin les portes et les fenêtres. Une partie de TGV, en fait, car on n'aperçoit que la motrice et une partie du wagon suivant. Les phares s'allument :"c'est la nuit" dit-il. On aperçoit également les lumières a travers les vitres. Le temps de colorier les wagons, et déjà le jour s'est levé : un magnifique soleil campe au coin droit de la feuille. Des trains comme ça, il en a dessiné 5 une fois, mais ils ont été déchirés. "Voila pour la spontanéité !" pense le thérapeute. Un dessin fait et refait x fois. Rien ne dépasse, rien ne bouge.

- Mais si, ça bouge, c'est un train, un moyen de transport, ça ne te dit rien ? Ça va quelque part ! Il y a bien une gare d'arrivée.

- Tu parles : ça va sur des rails. Il est en train (c'est le cas de le dire) de me dire qu'il ne conduit rien. Il vient, fait son truc, et repart. Terminus, tout le monde descend !

- Allons, tu es bien trop agressif. N’entends-tu pas : On le lui a déchiré ! Sans doute craint-il que tu n’en fasses autant, avec ses dessins, ses idées, ses affects ...

- Bien sur que j'ai entendu ça. J'ai vu aussi que le train n'est pas entier. Il en reste à venir. Qui sait comment il va se terminer ?

- Tiens puisque tu parles de terminer, et si tu demandais à l'enfant comment va se terminer ce voyage?

- Bonne idée. (A l'enfant) Le train, il arrive ou il part ?

- Ce n'est pas ce que je t'ai dit de demander !

- Je sais, mais chut : écoutons l'enfant

- Ah, le train, il part, et après pour revenir, le conducteur il descend et il monte dans l'autre locomotive ...

- (en pensées) Le devant devient derrière

- ... (l'enfant dessine des nuages très différents) il y a le nuage présent, le nuage passé, le nuage futur. Non il y a le nuage futur, le nuage passé, le nuage présent

- (en pensées) le passé reste à la même place

jeudi 5 mars 2009

L'enfant est né avec

L'enfant est né avec un bec-de-lièvre. Les médecins ont parlé de "fente palatine" et lui ont bien dit que "ce n'est rien, ça s'opère" et "qu'on ne s'en apercevra pas". Ils ont dit que "c'est génétique" et "qu'elle n'a donc pas à s'en faire". Mais elle pleure. Cela n'enlève rien à son chagrin, à l'idée qu'elle n'a pas fait un enfant comme il faut. Lorsqu'elle l'a vu pour la première fois, lorsqu'on lui a mis sur le ventre, elle n'a vu que ça : cette béance. Son sang s'est glacé- elle aurait aimé ne pas accoucher. Elle en a voulu au gynécologue : pourquoi est ce qu'il ne l'a pas vu à l'échographie. Elle en a voulu au père. Et surtout, elle s'en est voulu à elle. Et puis il y a eu les biberons. Elle voulait le nourrir au sein, mais quand elle a vu ce trou, elle y a renoncé. Ca a été quand même une épreuve : ça sortait tout le temps par le trou, il manquait de s'étouffer. Elle savait que ce n'était pas ça, mais elle le prenait quand même pour elle : il ne voulait pas de son lait, elle n'était pas une bonne mère. Elle regardait à la maternité les autres mères qui avaient eu un beau bébé. Elle leur souriait, mais à l'intérieur d'elle, elle ne leur souhaitait que du mal. On lui disait qu'elle ne savait pas faire, ce qui ajoutait à sa culpabilité. Et puis il tétait lentement, ça prenait des heures, il fallait le réveiller. Ce qui ajoutait à son angoisse. La nuit, elle allait le voir : est-ce qu'il respire ? Est il vivant ? S'est-il étouffé ? Sa respiration lente et régulière la rassurait. Et là, dans l'obscurité, dans ce noir qui cachait ce trou, elle pouvait l'aimer.

jeudi 5 février 2009

L'enfant est occupé à jouer

L'enfant est occupé à jouer.

L'enfant est occupé à jouer et sa mère le raconte. L'accouchement ? - très bien - ; la petite enfance ? - très bien -; l'entrée a l'école ? - très bien. Vraiment, cet enfant, c'est un enfant rêvé. Il a bien été jaloux de son petit frère, mais finalement les choses sont rentrées dans l'ordre

L'enfant est occupé à jouer.

Aussi, elle ne comprend pas. Il a tout. Il a toujours tout eu. Et puis il a commencé a mettre le bazar à l'école. Ca elle le supportait. Que les maîtresses se débrouillent !

L'enfant est occupé à jouer.

Mais il a commencé à voler. A la voler. Au début, elle n'a rien dit. Mais après il a volé des sommes importantes. Un enfant de 7 ans !

L'enfant est occupé à jouer.

Il faut dire que le père du petit ne lui dit jamais rien et...

- Le père du petit ?

Oui, ils n'ont pas le même père, mais il ne le sait pas. Son père est mort quand il avait un an. Il ne l'a jamais connu. Et 3 ans après, elle a connu le père du petit.

L'enfant est occupé à jouer.

- Il avait donc 4 ans lorsque vous vous êtes remise en ménage ?

Oui. On ne lui a jamais rien dit, parce que on ne veut pas lui faire de peine...

L'enfant est occupé à jouer.

jeudi 29 janvier 2009

Le dessin

L'enfant revient après une absence de plusieurs semaines. Il s'assied sur la chaise face au bureau et regarde alternativement le pot de feutres et son t-shirt. Le thérapeute fait remarquer qu'on peut y voir le même motif. L'enfant en revient à une inhibition ancienne : a-t-il le droit de dessiner ? Il finit par se décider, et glisse mollement de la chaise, prend quelques animaux, et disparaît sous l'horizon de la table. Du jeu, le thérapeute ne perçoit que les bruitages - et l'odeur de quelques pets qui finissent par l'incommoder. Les animaux sont rangés et l'enfant demande une nouvelle fois:

- Est-ce que je peux faire un dessin ?

- Qui te l'interdit ?

Il prend une feuille, des feutres, et dessine ce qui était certainement sa première idée : un poisson, comme les dessinent souvent les enfants, avec cette forme en huit couché. La queue est beaucoup plus grosse que le corps. Sur le verso, il fait un autre dessin, toujours dans la même thématique maritime : un bateau sur les flots. Il est gréé avec deux mâts, et son pont est étrangement ondulé. Alors qu'il tenait fermement le feutre pour dessiner le poisson, il le tient mollement du bout des doigts pour dessiner le bateau. La bouche est hypotonique, grande ouverte et il ne doit qu'à de grandes aspirations que la salive ne vienne pas mouiller le papier. Des hublots-sabords sortent quatre rames. Le temps est au beau fixe et le bateau navigue dans une douce houle. Il colorie soigneusement le dessin, ce qui lui donne un aspect dense et rigide. A la fin de la séance, il l'emporte, comme il a emporté tous ses dessins