samedi 22 septembre 2012

Je suis un arbre

L’enfant est occupé à une grande affaire depuis quelques séances. Avec de la pâte à modeler, il façonne un arbre. Le faire tenir debout lui a pris beaucoup de temps, et même encore il arrive que l’arbre vacille et tombe. Mais l’enfant ne se décourage pas. Il sait que c’est une grande affaire que de grandir.

Au sommet de l’arbre, vient un nid, des œufs, et un oiseau. L’arbre porte fruits, et à ses pieds, un renard les regarde avec gourmandise. Les fruits sont bien attachés, et une impression de tranquillité et de force se dégage de l’ensemble de la scène. A coté de l’arbre, se construit une cabane. De larges feuilles sont apposées sur une charpente. Lorsque le toit est achevé, l’enfant hésite un peu : s’il enlève la charpente, est ce que le toit va tenir ? Il se risque. Le toit tient.

Tout à coup, l’enfant s’écrie : “Je suis arbre. Il faut bien que ça donne quelque chose, un arbre”. Il est joyeux, et rit de la scène qu’il a construit. Le psychothérapeute est frappé de ce que l’enfant vient de dire. Il a pensé quelques temps avant la séance à la symbolique de l’arbre et de la cabane. Il était avec Cyblèle et Attis, Bachelard, Elliade. Voici que l’arbre immense étend ses branches et couvre la psychothérapie.

Il nourrit l’enfant et le thérapeute. Ses fruits sont pour ceux qui s’avent s’élever comme pur ceux qui savent attendre.

lundi 9 avril 2012

Moi, une ombre

L’enfant a disparu sous la table et le psychothérapeute sent grandir en lui la figure du Capitaine Achab. C’est une figure qu’il connait bien et qu’il a même appris à aimer même s’il n’en aime pas les aspect piquant. Il observe en lui une autre figure grandir. la table est un éléphant et il a en tête les images, qu’il trouvé émouvantes, des petits pachydermes sous les ventres énormes de leurs mère.

Lorsque l’enfant émerge de sous la table, la surprise est de taille. Il a barbouillé son visage de feutres. Le rouge, le vert, le noir soulignent ses lèvres. Le thérapeute réprime un mouvement de frayeur. Le visage de l’enfant est tout simplement hideux. “Regarde !” lui dit-il, mais le psychothérapeute ne voit que le sourire terrible du Joker. L’enfant, lui, est heureux. “J’ai fait comme maman”. Il déambule fièrement dans le bureau, les jambes raides, avec un air profond et grave.

“Il me faut un miroir” décide-t-il. Il cherche l’objet dans le bureau, ne le trouve pas. Il s’attarde un moment devant e psychothérapeute. Il ne trouve toujours pas son miroir. Puis, soudain, il le trouve. Un pâle rayon de soleil a pénétré par la fenêtre, et projette son ombre sur le mur blanc. Il se campe devant et réajuste son maquillage. “Voilà !” dit-il satisfait.

samedi 24 mars 2012

Barbouillages

L’enfant glisse sous la table en jetant un dernier regard au psychothérapeute. Seule sa main est restée en arrière et tâtonne sur le plateau. Elle agrippe le pot de feutre et l’emporte avec elle. De l’enfant, le psychothérapeute ne voit plus rien. Ou plutôt, il ne voit que trop bien un enfant. Il le voit gribouiller sur son mur. Les bruits qu’il entend ne le rassurent pas. Il sent viscéralement la pointe du feutre sur le papier peint blanc. Les “je ne fais rien” que claironne l’enfant de temps à autre ne le rassurent pas. Quelque part en lui s’écrit le mot “DENEGATION” mais il n’a pas envie de suivre ce fil. Il remarque aussi l’excellent timing de l’enfant. A chaque fois qu’il est sur le point de se lever et de mettre fin à cette… à cette quoi ? à cette chose, l’enfant claironne “je ne fais rien”, le mot DENEGATION s’allume, et … Le thérapeute pense maintenant à la triade dont parle Jacques Lacan mais l’échappée par l’intellectualisation ne fonctionne pas. Non, c’est plutôt le visage grimaçant d’un enfant qui s’impose. Les bruits de feutre emplissent sa tête, son esprit. Le mur, son mur, doit être dans le même état ! Il visualise l’avancée des barbouillages, le bleu, le vert, le rouge, mélangés en une chose maronnasse, s’étendant sur le mur sous la table. Bientôt, il en est sûr, l’enfant n’aura plus de surface libre, et il faudra qu’il sorte de la protection de la table. Il en est là dans ses réflexions lorsque la fin de la séance les saisit tous les deux. Il se lève. L’enfant sort précipitamment de sous la table, les mains pleines de feutres. “J’ai rien fait” dit-il et il décampe sans qu’un “au revoir” puisse être échangé.
Le psychothérapeute revient avec un seau et un éponge. L’encre est encore fraiche, les feutres sont des feutres à l’eau, et peut-être pourra il limiter suffisamment les dégâts ? Il se glisse sous la table. Il découvre une feuille, barbouillée de toutes les couleurs. Le mur est d’un blanc immaculé. Une petite inscription semble clignoter. De son écriture rendue malhabile que les irrégularités du papier peint accentuent encore, l’enfant a écrit son nom : SAMMY.