samedi 24 mars 2012

Barbouillages

L’enfant glisse sous la table en jetant un dernier regard au psychothérapeute. Seule sa main est restée en arrière et tâtonne sur le plateau. Elle agrippe le pot de feutre et l’emporte avec elle. De l’enfant, le psychothérapeute ne voit plus rien. Ou plutôt, il ne voit que trop bien un enfant. Il le voit gribouiller sur son mur. Les bruits qu’il entend ne le rassurent pas. Il sent viscéralement la pointe du feutre sur le papier peint blanc. Les “je ne fais rien” que claironne l’enfant de temps à autre ne le rassurent pas. Quelque part en lui s’écrit le mot “DENEGATION” mais il n’a pas envie de suivre ce fil. Il remarque aussi l’excellent timing de l’enfant. A chaque fois qu’il est sur le point de se lever et de mettre fin à cette… à cette quoi ? à cette chose, l’enfant claironne “je ne fais rien”, le mot DENEGATION s’allume, et … Le thérapeute pense maintenant à la triade dont parle Jacques Lacan mais l’échappée par l’intellectualisation ne fonctionne pas. Non, c’est plutôt le visage grimaçant d’un enfant qui s’impose. Les bruits de feutre emplissent sa tête, son esprit. Le mur, son mur, doit être dans le même état ! Il visualise l’avancée des barbouillages, le bleu, le vert, le rouge, mélangés en une chose maronnasse, s’étendant sur le mur sous la table. Bientôt, il en est sûr, l’enfant n’aura plus de surface libre, et il faudra qu’il sorte de la protection de la table. Il en est là dans ses réflexions lorsque la fin de la séance les saisit tous les deux. Il se lève. L’enfant sort précipitamment de sous la table, les mains pleines de feutres. “J’ai rien fait” dit-il et il décampe sans qu’un “au revoir” puisse être échangé.
Le psychothérapeute revient avec un seau et un éponge. L’encre est encore fraiche, les feutres sont des feutres à l’eau, et peut-être pourra il limiter suffisamment les dégâts ? Il se glisse sous la table. Il découvre une feuille, barbouillée de toutes les couleurs. Le mur est d’un blanc immaculé. Une petite inscription semble clignoter. De son écriture rendue malhabile que les irrégularités du papier peint accentuent encore, l’enfant a écrit son nom : SAMMY.