mardi 24 juin 2008

Le Capitaine Achab

Parfois, le thérapeute s'imaginait en un Capitaine Achab. L'idée lui en était venue quand il s'était surpris à penser que certains patients sondaient comme des baleines. Le problème, jamais réglé, est de savoir s'il s'agit d'une plongée calme - auquel cas il faut la laisser se dérouler - ou d'une plongée angoissée. Certains patients sondent brutalement, et profondément, sans que rien ne le laisse prévoir. D'autres sondent par paliers. On les voit un moment entre deux eaux, puis ils disparaissent dans les profondeurs. Il n'était pas tout à fait dupe de cette rêverie : le capitaine boiteux, poursuivant d'une haine implacable quelque chose, toujours là-bas, toujours plus loin. Il percevait le réseau des significations préconscientes - la sonde, la mer, le harpon. En arrière plan, le bateau, et l'équipage - quel groupe interne avait il embarqué en lui ? Mais il se laissait parfois porter par elle, le temps de prendre une décision, ou le temps qu'il fallait au patient pour remonter. En surface, la mer était parfois d'huile, parfois démontée. Mais que lui importait ? N'était il pas le Capitaine Achab ?

mercredi 18 juin 2008

Le traitement psychologique de l'enfant

Victor à Paris et Hans à Vienne ouvrent un nouveau champ : celui du traitement psychologique de l’enfant. L’enfant est reconnu pour avoir un développement psychologique pouvant rencontrer des difficultés, des arrêts, des fixations ou des évolutions pathologiques. Ces avatars nécessitent un traitement spécifique, d’où le développement de professionnels de l’enfance et la création d’institutions spécialisées. A la suite de Itard et de Freud, deux grandes voies de traitement se dessinent. L’une fait la part belle à l’éducation – c’est la voie d’Itard - et propose des orthopédies, des rééducations ou des remédiations. D’une façon générale, il s’agit de fournir à l’enfant ce dont il aurait manqué de par son environnement ou du fait de déficiences. L’autre – c’est la voie freudienne – propose de partir de l’expérience vécue de l’enfant pour traiter les causes psychologiques sous-jacentes.

Des conseils freudiens à aujourd’hui, le traitement psychanalytique des enfants s’est considérablement étoffé. Les psychanalystes ont mieux pris la mesure de la complexité d’une demande de prise en charge d’un enfant qui est un être à la fois en plein développement et dans une situation de dépendance vis-à-vis d’adultes tutélaires. Ils s’attachent à prendre en compte à la fois la « donne » biologique, la « donne » sociologique et la « donne » psychologique. Chaque individu naît en effet avec un patrimoine génétique qui l’avantage ou non, dans un contexte socio-historique qui lui est favorable ou non et chaque individu joue les cartes qui sont les siennes avec plus ou moins de talent. C’est ainsi que l’on voit des personnes tirer un meilleur jeu d’une donne à-priori difficile et d’autres ne pas arriver à faire quelque chose d’une donne qui semblait facile à jouer. C’est à ce jeu du désir, à ce qui le trouble, à ses transmissions, à ses transformations, à ses empêchements que s’intéresse le psychanalyste

mercredi 11 juin 2008

Hans à Vienne

A Vienne, au début de l'année 1908, un petit garçon de 5 ans est pris d'angoisse. Lors de promenades au parc voisin de son domicile, il pleure et souhaite rentrer chez lui. Après avoir eu un bref moment comme motif une inquiétude quant à la présence de sa mère, l'angoisse change d'objet : il a peur qu'un cheval ne le morde. Les parents de Hans sont du cercle d'amis de Freud. Sa mère a fait une psychanalyse avec le fondateur de la psychanalyse, et son père joue fréquemment aux cartes avec lui. De son coté, Freud a offert pour à Hans un cheval à bascule pour son quatrième anniversaire. Né en 1903, Hans est le premier enfant du couple qui aura en octobre 1906 un second enfant. A la demande de Freud, le père note les éléments qui lui semblent significatifs dans le développement de son fils, c'est à dire les éléments qui peuvent venir étayer la théorie freudienne sur la sexualité infantile. Ainsi, les interrogations du petit Hans sur les différences sexuelles et les réponses qui lui sont données sont scrupuleusement notées et rapportées à Freud. Lorsque la névrose phobique éclate, un curieux traitement psychanalytique est mis en place. Freud ne prend directement l'enfant Hans en traitement. Il ne le verra qu'a deux reprises et il préfére s'appuyer sur les "rapports hebdomadaires" que lui livre le père pour lui donner quelques conseils. Hans est au fait les deux hommes parlent de lui et il lui arrive de demander à son père de noter ses propos pour le « Professeur »

Dans « L’analyse d’une phobie infantile », Freud fera le récit de ce traitement particulier, entre la guidance parentale et la supervision. On peut y lire le climat qui pouvait entourer un enfant vivant dans une famille aux idées progressistes dans la Vienne du début du 20ième siècle. Les suggestions, directes et indirectes ne sont pas rares, pas plus que les dissimulations au sujet de la naissance des enfants. Sa mère lui déclare qu’elle a un « fait-pipi » comme lui, il fait face à des menaces de castration « je ferai venir le Dr A.. qui te coupera ton « fait pipi » ! et lorsque le symptôme phobique apparaît pour la première fois, le père suggère immédiatement un lien avec la masturbation « Peut être touches tu avec ta main ton « fait-pipi ? » Il s’en tiendra toujours à la position donnée par Freud : cette histoire de peur de chevaux est une « bêtise », il veut être pris par sa mère dans son lit et il a peur de chevaux parce qu'il était tellement intéressé par le fait pipi des chevaux. Freud suggèrera tout de même au père de commencer à éclairer Hans en matière de choses sexuelles, ce qu’il ne fera pas.

Hans, pourtant, donne une toute autre version que le mythe oedipien que Freud et son père veulent à tout pris lui imposer : un garçon aime sa mère, et souhaite éliminer son père qu’il vit comme un rival. La culpabilité le pousse à penser qu’il pourrait être puni pour ses désirs agressifs. Mais Hans s’étonne : « Pourquoi m'as tu dis que j'aime maman et que c'est pour ça que j'ai peur, quand c'est toi que j'aime ? » demande t il à son père. Ou encore, à son père qui lui dit que la « bêtise » deviendra plus faible s’il ne se masturbe plus, il répond que non seulement il ne le fait plus, mais que « envie et faire n’est pas la même chose ».

Le petit Hans suscite dans la communauté psychanalytique beaucoup d’intérêt .Sandor Ferenzi présente en 1913 le cas d’un enfant dont la phobie serait due à la réprimande de la masturbation. En 1919, Melanie Klein un cas d’analyse d’enfant qui lui vaut son entrée comme membre de la Société Hongroise de Psychanalyse sans supervision. En 1927, Anna Freud publie dans l’IPV Le traitement psychanalytique des enfants. Ses thèses sont à l’opposé de celles de Melanie Klein : elle propose aux enfants une rééducation psychanalytique plutôt qu’une psychanalyse, considérant que les conditions optimales ne sont pas réunies pour appliquer un traitement psychanalytique stricto-sensu : les enfants sont dépendants de leurs parents, leur construction psychique est inachevée, ils sont inaptes au transfert. En France, Jenny Aubry et Françoise Dolto attacheront leur noms a la psychanalyse des enfants.