jeudi 5 mars 2009

L'enfant est né avec

L'enfant est né avec un bec-de-lièvre. Les médecins ont parlé de "fente palatine" et lui ont bien dit que "ce n'est rien, ça s'opère" et "qu'on ne s'en apercevra pas". Ils ont dit que "c'est génétique" et "qu'elle n'a donc pas à s'en faire". Mais elle pleure. Cela n'enlève rien à son chagrin, à l'idée qu'elle n'a pas fait un enfant comme il faut. Lorsqu'elle l'a vu pour la première fois, lorsqu'on lui a mis sur le ventre, elle n'a vu que ça : cette béance. Son sang s'est glacé- elle aurait aimé ne pas accoucher. Elle en a voulu au gynécologue : pourquoi est ce qu'il ne l'a pas vu à l'échographie. Elle en a voulu au père. Et surtout, elle s'en est voulu à elle. Et puis il y a eu les biberons. Elle voulait le nourrir au sein, mais quand elle a vu ce trou, elle y a renoncé. Ca a été quand même une épreuve : ça sortait tout le temps par le trou, il manquait de s'étouffer. Elle savait que ce n'était pas ça, mais elle le prenait quand même pour elle : il ne voulait pas de son lait, elle n'était pas une bonne mère. Elle regardait à la maternité les autres mères qui avaient eu un beau bébé. Elle leur souriait, mais à l'intérieur d'elle, elle ne leur souhaitait que du mal. On lui disait qu'elle ne savait pas faire, ce qui ajoutait à sa culpabilité. Et puis il tétait lentement, ça prenait des heures, il fallait le réveiller. Ce qui ajoutait à son angoisse. La nuit, elle allait le voir : est-ce qu'il respire ? Est il vivant ? S'est-il étouffé ? Sa respiration lente et régulière la rassurait. Et là, dans l'obscurité, dans ce noir qui cachait ce trou, elle pouvait l'aimer.